samedi 14 janvier 2017

La légende de Dugong par Salyna CUSHING-PRICE, chez les Éditions Flammèche

Cette nouvelle (de presque 10 000 mots) est un conte fantastique se déroulant dans un cadre exotique.

On a ici un croisement entre le conte initiatique basé sur une "quête" (une revanche) et la légende sur l'origine d'un animal qui peut apparaître mystérieux (le dugong, donc).

Le style arrive à marier la richesse des descriptions (pour nous donner une bonne appréhension sur ce monde exotique) avec la légèreté et la fluidité nécessaires à un conte. De fait, on laisse à l'imagination du lecteur le soin de combler les vides, de se faire sa propre interprétation. À noter : la présence de quelques scènes violentes, lesquelles ne sont toutefois pas gratuites et ne sont jamais décrites avec complaisance.
L'histoire en elle-même se nuance également au fur et à mesure de la lecture. On évite le piège du récit purement binaire, avec un gentil très gentil et des méchants très méchants.

Par contre, j'avoue avoir des réserves concernant le démarrage du texte, qui se sert assez vite d'un flashback pour raconter tout un pan de l'histoire. J'avoue que j'aurais probablement préféré une trame narrative plus linéaire, qui m'aurait semblé plus en phase avec l'esprit "conte/légende" (je me trompe probablement mais j'avoue que dans mon esprit, si un conte utilise un flashback, ce n'est jamais que par petites notes, anecdotes, pas pour près d'un quart du récit).


J'aurais aussi apprécié qu'un peu plus de temps, de lignes, soient accordées à la fin. En l'état, j'avoue l'avoir trouvée un petit peu "sèche" (sans mauvais jeu de mots).
Pour autant, elle n'est pas décevante, incohérente ou ne laisse pas le lecteur se poser une foule de questions auxquelles on lui avait laissé croire qu'il aurait des réponses. Elle donne juste l'impression de se précipiter un peu, comme un conteur découvrant qu'il ne lui reste presque plus de temps pour dicter la morale de son histoire.


Ce que vous y trouverez :

  • Un conte fantastique atypique dans un univers exotique, peu souvent mis en scène
  • Des personnages nuancés malgré une trame "revanche"
  • Un style léger qui arrive à manier les descriptions sans ralentir/alourdir le récit

Ce que vous n'y trouverez pas : 

  • Une histoire sans violence que l'on peut raconter à un enfant (je le précise, vu que c'est un conte et que pour certains conte = histoire édulcorée)
  • Une histoire sans flashback scénaristique (qui coupe un peu le rythme de l'histoire)
  • Une fin aussi aboutie, détaillée que le reste de l'histoire

vendredi 13 janvier 2017

Anti-Glace par Stephen BAXTER, chez le Bélial

Anti-Glace est un roman uchronique steampunk se déroulant en Europe en 1870.

Voici un roman étrange, qui mêle aventure "fun", un côté presque pulp, avec un cadre très sérieux de réflexion sur l'impérialisme et la course aux armements dans le progrès technique.

D'un côté, on est face à un texte qui nous dévoile une série de péripéties aussi épiques que rocambolesques, avec certains moments incongrus assez drôles. De l'autre, on a le cadre dramatique d'un Royaume Uni tout puissant, grâce à la découverte d'un mystérieux matériau aux capacités dévastatrices (l'anti-glace, qui donne son nom au livre) et en profite pour imposer sa vision des choses au monde entier.
Le tout, avec en fond le conflit franco-prussien en catastrophe inévitable qui va allumer le feu aux différentes mèches en présence.

Le résultat peut paraître être un canard un peu boîteux, un peu bizarre, mais j'en ai franchement apprécié la lecture. Notamment en raison de sa galerie de personnages intéressants : entre le savant semi-fou hanté par la puissance dévastatrice de ses créations, le journaliste cynique ultra patriotique, le héros paumé empli de bonnes intentions et d'autres persos secondaires, on a un affrontement entre des points de vue assez divergents.
De plus, les personnages sont plutôt nuancés, ce qui évite de nous voir un point de vue imposer comme étant le seul valable.


Une lecture un peu déroutante mais rafraîchissante et divertissante.

Ce que vous y trouverez :

  • Des machines merveilleuses accompagnées de réflexions sur leurs impacts sur la société, les forces politiques et l'utilisation qu'elles peuvent en faire
  • Des protagonistes attachants
  • De l'aventure fantaisiste et rocambolesque

Ce que vous n'y trouverez pas : 

  • Une histoire carrée et sérieuse de bout en bout
  • Une histoire purement fantaisiste et fun
  • Un univers exploité en profondeur

jeudi 12 janvier 2017

Trafiquant d'âmes par Michel LAMART, chez Lune Écarlate

Trafiquant d'âmes est un roman de Science-Fiction à la frontière entre le Hard-SF et le surréalisme français.

Roman complexe de par le parti-pris de l'auteur annoncé d'emblée : selon lui, ce qui fait qu'on tient à relire des classiques, c'est leur part de mystère, d'insondabilité, ce qu'on n'a du mal à comprendre et qu'on se retrouve à conjecturer.


On peut toutefois être comme moi en désaccord avec ce parti-pris et, malgré tout, apprécier dans une certaine mesure la lecture de ce livre. Il faut, pour cela, accepter le fait que c'est une lecture qui va demander de l'investissement et de l'attention pour suivre le déroulement des faits qui vont être présentés (lesquels se jouent sur plusieurs trames à la fois).

L'intrigue rend curieux et donne envie de lire jusqu'au bout, le style n'est pas inutilement obscur (on ne se perd pas dans des formulations alambiquées pour mettre du mystère là où il n'y en a pas) et les personnages assez intéressants.

Petite note au passage : la présence récurrente de la femme fatale à la sexualité irrésistible, mais qui ne se verra au final jamais gratifiée d'une réelle séquence de sexe décrite. Ce qui m'a laissé un peu perplexe. Pourquoi aller autant dans le détail sur les pulsions libidineuses qu'elle inspire si c'est pour faire une ellipse sur le moment de "conclusion" de l'acte ? Non pas que j'aurais voulu à tout prix le lire, mais cela m'aurait paru plus "cohérent". Un choix de pudeur de la part de l'auteur, ou afin de ne pas choquer le lecteur ? Ou juste, cela n'intéressait pas l'auteur de parler de la conclusion, seule comptait la pulsion et le fait que l'acte soit consommé ?
D'ailleurs, là où on a plusieurs descriptions des physiques féminins, il y a un certain vide pour ce qui est des physiques masculins. Cela m'a un peu perturbé également. Après tout, savoir si tel personnage est supposé ou non être attirant/a un certain succès aurait permis de savoir si, à certains moments, l'intérêt qui leur est témoigné est a priori classique ou non.
MAIS cela peut être un parti pris volontaire pour laisser planer du mystère.
Reste que cela m'a perturbé et semblé créer un déséquilibre étrange entre les persos masculins et ceux féminins.

Cependant, l'ensemble me laisse un goût mitigé. J'ignore si c'est en raison d'un manque d'attention de ma part ou d'explications que je n'ai pas su imaginer, mais j'avoue qu'un certain nombre d'incohérences m'ont perturbé tout le long du récit, et ne m'ont pas semblé résolues une fois le livre fini. Certes, c'est peut être le but de l'auteur, mais là où je suis mitigé c'est que j''avoue ne pas avoir été suffisamment fasciné par ce récit pour vouloir m'y replonger et me triturer durablement la tête pour combler ces failles, chercher les détails qui m'auront échappé.
Une lecture particulière, audacieuse par ses parti-pris mais imparfaite dans son résultat. Un récit qui a toutefois beaucoup de potentiel et qui pourrait en ravir beaucoup.

Ce que vous y trouverez :

  • Une narration puzzle originale (le puzzle provient des lieux et d'espaces-temps contiguës, et pas uniquement de flash-backs/flash-forwards)
  • Un univers intrigant de cités-bulles au milieu de déserts, ravitaillée par des dirigeables
  • Des touches de sensualité

Ce que vous n'y trouverez pas : 

  • Un récit clair et/ou léger, sans incohérence apparente
  • Des explications précises sur l'univers en place
  • Des descriptions précises sur les personnages (physique ou psychologique)

mercredi 11 janvier 2017

Monstres à toute vapeur par Doris FACCIOLO & Béatrice RUFFIÉ LUCAS & Xian MORIARTY & Philippe WINKLER & Eric COLSON & Marie ANGEL & Catherine LOISEAU & Igor KOVALTCHOUK, chez Lune Écarlate

Monstres à toute vapeur est une anthologie de textes steampunk mettant en scène des créatures du folklore français.

Tout d'abord, mise en garde : cette anthologie n'est plus disponible auprès de son éditeur. Pour vous le procurer, vous pouvez toujours écumer les bouquinistes ou les boutiques en ligne (priceminister, amazon, etc.).

Voici donc un recueil au principe intrigant, annonciateur d'éventuelles pépites.
Pour mieux le chroniquer, je vais faire une analyse nouvelle par nouvelle :

Un chasseur sachant chasser, par Doris FACCIOLO.
Curieux choix que de placer ce texte en premier. En effet, il apparaît assez vite comme étant le plus faible, le moins bon du lot. Ses défauts font penser à un premier jet, qui n'aurait pas eu le temps d'être vraiment corrigé et de subir les sévices de plusieurs bêta-lectures.
Rythme inconstant, incohérences de l'univers, fin précipitée, on a vraiment l'impression que l'auteure n'a pas eu le temps de le travailler davantage. On se retrouve avec un texte boîteux, nous laissant imaginer ce qu'il aurait pu être, s'il avait été peaufiné.
Heureusement que le reste de l'anthologie ne présente pas ces défauts.

Héloïse à son avantage, par Béatrice RUFFIÉ LUCAS.
Cette nouvelle fantastique nous place du point de vue d'une jeune fille découvrant Paris. On n'y abuse pas de descriptions de machineries folles et, au contraire, on se concentre avant tout sur la psychologie du personnage principal.
Bien écrit, bien mené, sans être boulerversante pour autant, le texte s'apprécie et fait penser à quelques courtes nouvelles fantastiques de la fin du XIX° siècle.

La Dame aux Hiboux, par Xian Moriarty
Voici un récit aux allures de "origin story", avec une héroïne au caractère trempé et son fidèle hibou.
On y trouve de l'action, des rebondissements et quelques réflexions bien mêlées, sans jamais cafouiller. On regrette seulement à la fin de ne pas découvrir que l'on peut lire d'autres aventures de cette héroïne ailleurs, tant on a pu s'attacher à elle. Une réussite.

La dernière chasse d'Alceste Petibon, par Philippe Winkler
Comme son titre l'indique, on découvre ici une histoire de chasse. Le sel de cette nouvelle vient des successions de galères que va rencontrer notre homme dans sa quête de son ultime trophée de chasse.
De l'humour, de l'amusement et un décor bien campé, c'est original et rafraîchissant.

Là où nul ne va, par Eric Colson
Une histoire de savant-fou qui permet de mettre en place une réflexion sur la place de l'espèce humaine dans la nature, et son rapport avec celle-ci.
Intéressant quoi que un peu décontenançant par moments, c'est une nouvelle assez particulière qui pourra en perdre ou en ennuyer certains, je pense. Toutefois, moi j'y ai trouvé mon compte et salué l'angle d'approche.

Le grincement de la malbête, par Marie Angel
Une nouvelle à lire au coin de feu, dans un chalet perdu dans la forêt, en s'imaginant entendre les cris du loup au loin.
Un autre excellent moment de lecture, grâce au style qui campe véritablement une ambiance prenante, fascinante.
Si on peut deviner plus ou moins les ressorts de l'intrigue par moments, on se laisse emporter, comme si on écoutait le vieux du village raconter cette histoire avec sa voix érodée par le temps.

Légendes brisées, par Catherine Loiseau
En contraste avec la nouvelle précédente, voici un récit assez court, mais tout aussi poignant, et qui garde un côté doux-amer.
On entendrait presque un petit son de boîte à musique mélancolique résonner au fond de notre tête. C'est léger et poétique. Ca donne envie d'en savoir plus, tout en voulant garder une distance par pudeur.

Trois balles, au commandement, par Igor Kovaltchouk
On finit avec un duel d'honneur, sur fond politique de conflit autour de la présence d'êtres féériques dans notre monde.
L'intrigue est bien ficelée, permet d'avoir une bonne idée des enjeux et de connaître une montée de tension tout le long de la nouvelle. Toutefois, si on est allergiques aux considérations politiques/géostratégiques, on risque de s'ennuyer/traîner des pieds à sa lecture. Ce n'est pas mon cas, mais je pense que ce qui a fait pour moi la saveur de ce texte pourra faire s'en désintéresser d'autres.

En résumé, un recueil assez divers dans ses approches du concept dans lequel chacun doit pouvoir trouver au moins une plume qui lui plaise.

Ce que vous y trouverez :

  • Des approches divergentes d'un thème unique avec une pluralité de styles
  • De l'humour, de l'action, de la tension
  • Des personnages principaux masculins et féminins, certains issus de la masse populaire et d'autres de la bourgeoisie ou de la noblesse

Ce que vous n'y trouverez pas :

  • Une absence de coquilles (elles causent d'ailleurs parfois des contresens)
  • Une omniprésence des aspects steampunk dans les descriptions (on le rencontre plus par touches au fil des descriptions)
  • Des textes d'une qualité égale (le premier pêche malheureusement trop et mériterait une ré-écriture)

lundi 9 janvier 2017

Voleurs de Lumière par Sylvie KAUFHOLD, chez les Éditions du 38

Cette nouvelle, d'une taille plus que respectable (pratiquement 100 000 caractères) se déroule dans un univers de fantasy/medieval-fantasy.

Attention : pas d'orcs ou de dragons pour jouer le rôle de la grande menace qui plane. Non, à la place, nous avons droit à un concept intéressant et surprenamment pas si souvent utilisé que cela d'ombre prédatrice. Entendez-moi bien : je sais qu'il existe déjà des livres et autres avec ce concept, mais il reste encore assez frais pour un lecteur pour moi (à l'opposé de concepts comme les orcs, les dragons, les zombies ou les vampires par exemple, qui eux ont déjà été bien plus copieusement exploités).

Cet "ennemi" reste cependant assez obscur (sans jeu de mots) et l'auteur ne prend jamais la peine de nous le décrire façon "Père Castor va vous raconter une histoire". Non, à la place, on le devine au détour de descriptions et de répliques, un peu comme si on était jetés pour de vrai dans cet univers et qu'on en découvrait peu à peu ses modes de fonctionnement. Personnellement, j'adhère totalement à ce mode de narration, mais je pense que cela pourra en agacer certains.

Les personnages restent intéressants et l'intrigue m'a fasciné de bout en bout. Sans être révolutionnaire, une fois de plus, elle prend une approche et quelques partis pris originaux qui apportent une saveur nouvelle et fort appréciable à l'ensemble.

Le seul principal reproche que je puisse avoir à faire à cette nouvelle, c'est finalement qu'elle ne soit pas une préquelle à un roman. La fin donne envie d'en découvrir davantage, de connaître la suite. Mais c'est là, je pense, un reproche que l'on peut souvent faire à beaucoup de bonnes  nouvelles.

Ce que vous y trouverez :

  • Un univers de fantasy riche et intéressant, changeant de certains écueils du genre
  • Un personnage féminin principal fort sans être caricatural/forcé
  • Un style agréable et fluide

Ce que vous n'y trouverez pas : 

  • Une absence totale des écueils du genre de la fantasy (l'héroïne a un passé osbcur, elle a été adoptée, etc.)
  • Une description précise de l'univers/des ennemis
  • Une fin qui ne laisse place à aucune interrogation/frustration