vendredi 5 mai 2017

Absyrialle par Fabrice CHAULIAC, chez Voy'[el]

Absyrialle est un roman fantastique/fantasy matiné de capes et d'épée.

Un livre à la couverture qui, d'entrée, fascine. Mais l'intérieur est-il à la hauteur ? Ma foi, le résultat m'a comblé, le ramage se rapporte bel et bien au plumage.
J'aurais d'ailleurs grand peine à trouver source de reproches à l'auteur. Son histoire, tout d'abord, est extrêmement bien ficelée, sans pour autant faire téléphonée ou jouer sur des rebondissements factices. L'intrigue se joue sur plusieurs niveaux tout en gardant une grande cohérence. Si on peut être décontenancé par moments, penser que l'histoire se perd dans des détours inutiles, c'est pour être agréablement surpris par la suite en découvrant comment tout cela se rejoint.

Le récit, extrêmement condensé et composé de chapitres très courts, permet de se focaliser constamment sur les éléments signifiants. Là où l'auteur aurait pu se perdre en détails inutiles, cherchant à nous prouver le travail qu'il a pu fournir pour l'élaboration de son univers, on reste focalisé sur les éléments qui servent toujours soit à l'intrigue, soit à approfondir la psychologie d'un personnage, soit à donner de l'épaisseur à l'univers avec lequel on est mis directement en relation. Par bien des aspects, cela m'a rappelé la sensation que l'on peut avoir en lisant certaines nouvelles, où la brièveté de la forme oblige l'auteur à ne pas s'embarrasser de détails superflus. Certains pourront le regretter, mais j'ai trouvé que c'était là un énorme plus qui renforçait la puissance du récit. On se retrouve sur une histoire qui se déroule principalement sur un lieu (Absyrialle) et sur une durée de temps relativement courte, avec des enjeux très importants. Une autre approche m'aurait semblée inappropriée, ne pas coller au récit. Davantage de descriptions auraient ralenti le rythme, ampoulé la lecture.

J'en profite pour remarquer une astuce bienvenue : on croise un peu plus d'une dizaine de personnages, mais qui ont tous des noms assez différents (et avec pratiquement à chaque fois une étiquette, de type « le duc de machintruc, le valet, le bretteur, l'espion) qui permettent d'éviter de les confondre, là où beaucoup de récits vont inventer des noms exotiques certes intéressants, mais qui ont tendance à vite se confondre dans la mémoire du lecteur (et je le dis d'autant plus que j'ai une mémoire à gruyère pour tout ce qui est des noms/étiquettes).
Ce souci de ne pas larguer le lecteur est discret, mais appréciable.

Par contre, ce roman est assurément réservé à un public qui n'a pas peur de lire quelques descriptions sexuelless et gores relativement explicites. Attention, il ne s'agit nullement là du coeur du récit, et elles ne sont jamais gratuites. Elles servent à donner une ambiance, une compréhension des personnages et des pratiques, sans jamais tomber dans le grivois. L'utilisation du personnage du Marquis de Sade est d'ailleurs très intéressante et va bien plus loin qu'un simple « name-dropping ». Je précise qu'à l'origine, je n'aime ni l'auteur avec ses livres, ni le personnage historique avec ses frasques, bien au contraire. Mais, encore une fois, son utilisation est justifiée et permet d'ajouter des nuances, notamment sur certaines questions de l'altérité (par exemple, sur ce qu'on va condamner chez les Absyriens comme étant d'épouvantables perversités par contraste avec ce que certains rares hauts aristocrates français pouvaient déjà pratiquer par eux-mêmes).

Ce texte se permet également de garder sa cohérence en invoquant à de nombreuses reprises de courts échanges autour de thèmes philosophiques chers aux Lumières, sans jamais chercher à imposer un point de vue précis. C'est là un exercice qui est très souvent casse-gueule, où l'on a tôt fait de tomber dans le pompeux ou le ridicule. Mais ici, cela permet de mieux comprendre nos personnages et comment ils s'insèrent dans leur époque, comment ils raisonnent et, même, comment ils se mentent à eux-mêmes.

Le style, enfin, sert parfaitement ce texte. Concis, clair, élaboré sans faire ampoulé. On sent là une maîtrise à la mesure de l'ensemble du récit.
D'ailleurs, j'aurais bien du mal à classer ce texte, au final. Par certains côtés, il est clairement un texte d'épouvante, mais il est également un récit d'aventure à la limite entre la fantasy et le fantastique. On sent que l'auteur a cherché à écrire avant tout ce qui lui faisait envie, et a fini par produire un roman rafraîchissant et enthousiasmant.

On a donc là un roman original et audacieux, qui mêle intrigues politiques, épouvante, fantasy, hypocrisie ambiante de l'époque des Lumières, aventure, érotisme, violence et décadence.

Ce que vous y trouverez :

  • Un univers riche avec une galerie de personnages colorés et intéressants
  • Un melting-pot/hommage à la littérature du XVIII° siècle manié avec style très adroit
  • Une intrigue qui avance telle un jeu d'échec lent mais implacable

Ce que vous n'y trouverez pas : 

  • Un texte tout public
  • Des explications à foison sur l'univers créé
  • Un récit rocambolesque avec une cascade d'actions